Le nouveau visage de l'arbitrage entre État et investisseur étranger : la chapitre 11 de l'Alena

AutorAxelle Lemaire
CargoDoctorante à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Páginas40-71
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Le nouveau visage de l’arbitrage entre État et investisseur étranger : la
chapitre 11 de l’ALENA*
Axelle Lemaire, France
Doctorante à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
1. Boîte de Pandore, fruit empoisonné, ou simple instrument destiné à perfectionner la protection
juridique internationale des investissements ? Les dispositions de l’ALENA relatives à
l’investissement, et notamment celles consacrées à l’arbitrage en cas de différend entre un Etat et
un investisseur, ont été habillées de tous ces qualificatifs. Avant toute incursion dans le débat sur
leur opportunité, il convient de se pencher sur le système qu’elles organisent.
2. L’Accord de libre-échange nord-américain (1) unit les Etats-Unis, le Mexique et le Canada
dans une zone commerciale au poids démographique et économique imposant (2). Le calendrier
du Traité a pour premier objectif l’abaissement et l’élimination progressive des tarifs douaniers et
autres réglementations commerciales restrictives, dans le but de promouvoir les échanges
commerciaux entre les trois pays. L’accord couvre un domaine très étendu, puisqu’il englobe le
commerce des marchandises, les marchés publics, les services, la propriété intellectuelle et les
investissements.
3. L’ALENA impose peu d’obligations nouvelles aux Etats-Unis et au Canada, déjà liés par un
accord de libre-échange (3) et ayant procédé à la libéralisation de la plupart de leurs secteurs
commerciaux. En revanche, le Mexique accepte, en ratifiant le traité, d’abandonner le régime
juridique restrictif qu’il réservait aux produits et investissements étrangers. Dans ce dernier
domaine en particulier, l’engagement du gouvernement mexicain marque une rupture forte par
rapport à sa politique antérieure de contrôle et de restriction des investissements internationaux.
4. Le chapitre 11 relatif à l’investissement, qui contient 39 articles numérotés de 1101 à 1139,
consacre un régime particulièrement favorable des investissements effectués sur le territoire de
l’ALENA. La section A de ce chapitre énonce les règles substantielles applicables aux
investissements. Si le corpus normatif auquel les articles 1101 à 1114 font référence est dense et
complexe, cinq dispositions essentielles sont à la base de la protection accordée à l’investisseur
étranger : il s’agit des exigences du traitement national et du traitement de la nation la plus
favorisée, d’un standard international minimum de traitement, de l’interdiction des prescriptions
de résultat et des garanties en cas d’expropriation. La section B est réservée au règlement des
différends entre un Etat Partie et un investisseur. Son objectif est d’assurer « un traitement égal
aux investisseurs des Parties, en conformité avec le principe de la réciprocité internationale, et
une procédure régulière devant un tribunal impartial » (4). Ses articles 1115 à 1138 offrent une
solution de règlement des différends rarement adoptée dans les instruments internationaux, et
encore discutée parmi les spécialistes du droit international : ils prévoient la possibilité pour une
personne privée d’introduire une demande d’arbitrage à l’encontre d’un Etat devant un tribunal
international, en cas de violation alléguée de l’une des dispositions protectrices de l’ALENA
énumérées à la section A précitée. La section C contient, quant à elle, les définitions des notions
qui gouvernent le champ d’application du chapitre 11.
* El presente artículo fue publicado la primera vez en la Revue de l’arbitrage, #1, 2001. Reagradecemos al
Profesor Philippe Fouchard, director de la Revista, de haber autorizado la re-publicación.
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5. L’idée selon laquelle l’investissement est un critère décisif du développement d’un Etat
recueille aujourd’hui un large assentiment. Or, si l’incidence purement économique de l’ALENA
sur les flux d’investissement est moins discutée (5), la portée juridique — effective et potentielle
— des dispositions relatives à l’investissement soulève depuis quelques années de nombreuses
interrogations.
6. Deux aspects du débat retiennent particulièrement l’attention. En premier lieu, la possibilité
offerte à l’investisseur d’introduire une demande d’arbitrage contre un Etat s’inscrit dans une
tendance récente du droit international, qu’elle contribue à dessiner : le développement d’un
arbitrage non contractuel, en dehors de toute clause ou compromis d’arbitrage. Dans la même
lignée, la question se pose de la place que réserve le chapitre 11 au consentement des parties au
litige.
7. En second lieu, les dispositions du chapitre 11 sont accusées de miner la souveraineté des Etats
Parties (6). L’échec des négociations sur l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (« AMI ») a
illustré l’ampleur des controverses (7). L’ALENA avait en effet servi de modèle aux négociateurs
de l’OCDE, dont le projet a été abandonné en 1998 sous la pression de l’opinion publique
internationale. C’est à la lumière de ce contexte que doit être évalué le dispositif mis en place par
le chapitre 11.
8. Dans les cinq premières années qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’ALENA, peu d’actions
ont été intentées sur ce fondement. Considérés à l’époque comme techniques, obscurs, voire
d’importance mineure (8), les articles du traité consacrés à l’investissement font aujourd’hui
l’objet d’une contestation dont l’ampleur croissante a surpris les responsables politiques, depuis
que les premières instances introduites par des investisseurs contre les gouvernements canadien,
mexicain ou américain ont été rendues publiques. Depuis 1997, il semble qu’au moins quinze
plaintes aient été soumises à l’arbitrage sur le fondement du chapitre 11 section B : six d’entre
elles sont dirigées contre le gouvernement mexicain, cinq autres mettent en cause une mesure
prise par le Canada, alors que les Etats-Unis ont eu à répondre de quatre plaintes déposées à leur
encontre par un investisseur étranger. Ce fait est d’ailleurs assez nouveau pour être remarqué : les
Etats-Unis ne figuraient pas, avant l’année 1999, parmi les Etats défendeurs (9). La situation avait
pu encourager la critique des détracteurs du chapitre 11, parfois perçu comme le cheval de
bataille des investisseurs américains dans leur conquête des marchés économiques plus faibles.
9. A l’heure actuelle, les sentences finales rendues en application du chapitre 11 de l’ALENA
restent rares. Pourtant, l’on assiste aujourd’hui à une situation étonnante, susceptible de placer les
Etats Parties dans une situation inconfortable : tous les mois, de nouvelles décisions sont rendues
dans ce cadre par des tribunaux arbitraux (10). Quatre affaires introduites sur ce fondement sont
ainsi en cours d’examen devant le CIRDI (11). Un bref aperçu des sentences permet d’apprécier
la grande actualité de la matière et d’expliquer l’intérêt que lui porte la doctrine, en particulier les
auteurs anglo-saxons (12) :
La sentence préliminaire rendue le 24 juin 1998 dans l’affaire Ethyl Corporation c.
Gouvernement du Canada (13) présente un grand intérêt quant à la question de la compétence du
tribunal arbitral, mais ne résout rien au fond, l’affaire ayant été réglée à l’amiable ultérieurement.
— La sentence rendue le 1er novembre 1999 dans l’affaire opposant M. Robert Azinian
et autres au Mexique par un tribunal arbitral composé sous l’égide du CIRDI doit faire l’objet
d’un examen attentif (14). Elle rejette la plainte abusive de l’investisseur et prend position sur les
conditions de la contestation d’une décision de justice dans le cadre de l’ALENA.
— Il faut également souligner l’apport, en dépit d’une opinion dissidente très hostile et
des critiques qu’elle a essuyées de manière générale, de la sentence Waste Management Inc. c.
Mexique du 2 juin 2000, par laquelle le tribunal CIRDI précise, tout en déclinant sa compétence,
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la portée de l’obligation de renonciation à l’exercice de tout autre recours qui pèse sur
l’investisseur (15).
— Par ailleurs, une sentence provisoire a été rendue le 26 juin 2000 dans l’affaire Pope &
Talbot c. Gouvernement du Canada (16). La décision apporte des détails précieux sur le sens à
donner aux dispositions relatives aux obligations de résultat et à l’expropriation.
La sentence finale rendue à l’encontre du Gouvernement du Mexique dans l’affaire
Metalclad le 30 août 2000, dans le cadre d’une procédure régie par le mécanisme supplémentaire
du CIRDI, a fait l’objet d’un appel devant des juges canadiens, dont la décision ne saurait tarder à
intervenir (17).
— Le tribunal réuni dans l’affaire S.D. Myers c. Gouvernement du Canada s’est prononcé
en faveur de l’investisseur dans sa sentence intérimaire rendue le 13 novembre 2000 (18). Cette
décision importante clarifie quant à elle les notions de traitement national et de standard
minimum de traite ment.
Enfin, c’est le 5 janvier 2001 que les arbitres ont accepté de reconnaître leur
compétence dans une sentence très attendue relative au litige opposant le Groupe Loewen au
gouvernement américain.
10. Ces premières sentences font avancer la réflexion sur les nouveaux développements qui
affectent l’arbitrage mixte. Le régime d’arbitrage instauré par le chapitre 11 prévoit ainsi un accès
direct de l’investisseur aux mécanismes d’arbitrage (I). Ce choix original résulte d’une autre
entorse à l’arbitrage classique : en permettant de recueillir le consentement des parties à
l’arbitrage de manière dissociée, l’ALENA facilite la détermination du fondement de la
compétence du tribunal arbitral (II). Finalement, les illustrations pratiques de l’application du
chapitre 11 permettent de questionner la réalité de la menace qui pèserait sur la souveraineté des
Etats (III).
I. – L’accès direct de l’investisseur au mécanisme d’arbitrage
11. Dans l’optique de contrebalancer le déséquilibre initial qui caractérise les relations entre Etat
et personne privée, la section B du chapitre 11 accorde à l’investisseur le droit de saisir
directement et unilatéralement un tribunal arbitral (1). Cet accès à la justice arbitrale est toutefois
circonscrit au champ d’application des dispositions du chapitre 11 (2).
1. Le droit de saisine octroyé à l’investisseur
12. Le chapitre 11 section B de l’ALENA institue un mécanisme de règlement des différends
particulièrement adapté aux relations, contractuelles ou non, qui s’instaurent entre un Etat et un
investisseur étranger opérant sur le territoire de cet Etat. Il propose en cela une alternative
efficace aux recours traditionnels à la justice étatique et à la protection diplomatique. Le postulat
à la base des dispositions du chapitre est le suivant : l’arbitrage est utilisé comme un remède pour
rétablir l’égalité d’une relation initialement déséquilibrée, entre l’Etat souverain titulaire des
moyens de décision et de contrainte, et son partenaire privé qui tente d’échapper à la juridiction
souveraine. A cet égard, l’exemple des contrats d’Etat, qui prévoient fréquemment le recours au
mécanisme arbitral, a inspiré les négociateurs du Traité. A l’investisseur, il fallait permettre de
recourir à un for neutre et ce, de manière efficace.
13. L’article 1116 de l’ALENA dispose que « Tout investisseur d’une Partie qui estime avoir
subi une perte ou un dommage en raison ou par suite du manquement d’une autre Partie à une
obligation découlant de la section A (…) pourra soumettre à l’arbitrage une plainte à cet effet ».

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